"Arrêtons la politique du chiffre, remettons de l'humain dans l'Éducation nationale"

Séverine Marcou est professeur des écoles depuis dix ans et enseigne à des enfants de grande section, CP et CE1 dans la circonscription rurale de Chauny, au cœur de la Picardie. La jeune femme est une institutrice un peu particulière : salariée de l’Éducation nationale, elle fait partie des Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased), c’est-à-dire qu’elle enseigne non pas à une classe dédiée mais intervient dans plusieurs écoles pour soutenir les enfants qui rencontrent des difficultés scolaires. "Mon travail, c’est de leur apprendre à apprendre", explique Séverine d'une petite voix douce.


"Je suis la campagne présidentielle comme tout le monde, raconte la jeune femme. Je m’y intéresse parce que dans mon métier, il s’est passé beaucoup de choses ces dernières années qui ne vont pas dans le bon sens." "J’attends pas mal de choses des candidats dans le domaine de l’éducation, poursuit-elle. Pour l’instant, je trouve leurs propositions trop floues, pas assez concrètes. Il n’y a guère que les écologistes d’Eva Joly et le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon qui se démarquent." Mais l’élection présidentielle de 2002 est passée par là : "En province plus qu’à Paris, nous avons peur de la montée du Front national. Il faut éviter ça à tout prix et, si je n’ai pas encore fait mon choix, je sais qu’il faut voter utile".

 

"En 10 ans, j’ai vu l’Éducation nationale se dégrader", déplore Séverine. "Il y a de moins en moins de moyens et de plus en plus de postes supprimés [entre 2007 et 2012, 80 000 postes ont été supprimés dans l'Éducation nationale ndlr] , explique-t-elle. Conséquence : mes collègues qui enseignent dans une classe dédiée ont vu les effectifs passer de 24 élèves maximum à 28 aujourd’hui. L’an dernier, j’ai même vu une classe de CE1-CE2 avec 35 enfants", s'indigne-t-elle. Et pour les Rased, l'avenir n'est pas au beau fixe : près de 2 500 postes pourraient être supprimés à la rentrée 2012. Les premiers à pâtir de la situation sont les enfants en difficulté. Aujourd’hui, Séverine s’occupe de 45 élèves répartis sur 15 écoles. Pour elle, "les suppressions de postes sont un pur bilan comptable qui ne prend pas en compte le besoin des enfants".

 

 

Séverine pointe également du doigt les rythmes scolaires. En 2007, Xavier Darcos, alors ministre de l’Education, prend la décision de supprimer les cours le samedi matin. Décision devenue effective à la rentrée 2008 avec pour argument que les élèves français font plus d’heures de cours que leurs voisins européens.

 

"Le samedi était un jour où l’on travaillait différemment, explique l’institutrice. Les enfants comme les professeurs étaient plus décontractés." "La semaine de quatre jours n’est pas une bonne idée, poursuit-elle. Il vaudrait mieux travailler moins d’heures chaque jour et garder la semaine de 5 jours. Cela permettrait aux enfants d’avoir un rythme plus régulier et aux professeurs d’avoir plus de temps pour travailler ensemble et trouver des solutions pour les enfants en difficulté."

 


Et si Séverine veut dégager du temps hors des classes pour les enseignants, c’est aussi pour que ceux-ci puissent avoir une meilleure relation avec les parents d’élèves. Car pour la jeune femme, il ne faut pas stigmatiser les parents démissionnaires.

 

"La Picardie, la région où j’enseigne, est une région défavorisée. Les entreprises ferment, le taux de chômage est élevé [dans la région de Saint-Quentin où vit Séverine le taux de chômage était de 14,7% au troisième trimestre 2011 alors que sur la même période la moyenne nationale était de 9,3% selon les chiffres de l’Insee ndlr], il y a une grande précarité, explique la jeune femme. Ici plus qu’ailleurs il faut que professeurs et parents fonctionnent main dans la main." "Les instituteurs attendent beaucoup des parents. Moi je pense que c’est aussi à nous de les rencontrer et de les aider même si certains professeurs me rétorqueront que nous ne sommes pas des assistantes sociales", poursuit-elle.

 

 

Séverine regrette de ne pas avoir été formée – pas plus que les autres professeurs – à la relation parents-enseignants. Et côté formation, elle critique également sévèrement  la réforme de la "masterisation" mise en place par Nicolas Sarkozy.

 

Jusqu’ici, les professeurs, licence en poche, préparaient pendant un an le concours de l’IUFM et après l’obtention du diplôme, une année de stage était obligatoire. Avec la réforme, ils sont désormais recrutés à l’issue du master et exit l’année de stage. Les enseignants se retrouvent donc parachutés face aux élèves sans formation sur le terrain. "Tout ceci est très dommageable, s’insurge Séverine. La formation initiale mais aussi la formation continue ont disparu. C’est mettre les jeunes enseignants et les élèves en difficulté."

 

Si les enseignants doivent faire face à des difficultés dans leur quotidien, leur traitement n'est pas non plus des plus attractif. Le salaire des professeurs est gelé pour la deuxième année consécutive - comme pour tous les fonctionnaires. Pourtant, les salaires des enseignants français sont en bas de l'échelle dans les pays de l'OCDE. Ainsi, un enseignant allemand à même niveau de recrutement débute à plus de 2 000 euros net contre 1 600 euros net pour un professeur français.

 

Séverine n’en fait pas un casus belli. Au contraire, la jeune femme trouve normal de participer à l’effort collectif pour résorber la crise de la dette qui touche la France. "J’ai perdu 10 euros sur mon salaire. Ce n’est pas grand-chose, explique-t-elle. Je comprends qu’il faut être solidaire en ces temps de crise." Mais il y a une chose que la professeur ne digère pas : "Ce qui me pose problème, c’est que ça ne s’applique pas à tout le monde. Quand on voit que les grandes entreprises font des bénéfices faramineux, on a du mal à accepter de faire des efforts…".

 

Si elle était présidente ? Séverine refonderait entièrement le système scolaire. Et avant tout, elle redonnerait une dimension humaine à l’Éducation nationale, qui, accuse-t-elle, s’est "perdue dans une politique du chiffre et de la rentabilité".

 

 

 

Retrouvez tous les billets de "Si j'étais président..." en cliquant ici.

 

Crédit photo: Sophie Pilgrim

 

 

Comments or opinions expressed on this blog are those of the individual contributors only, and do not necessarily represent the views of FRANCE 24. The content on this blog is provided on an "as-is" basis. FRANCE 24 is not liable for any damages whatsoever arising out of the content or use of this blog.
6 Comments
Vous avez raison Aude, et cet état d'esprit vous honore! Je partage entièrement votre point de vue et c'est pourquoi je pars en mission "éducation" humanitaire cet été! Nous ne sommes qu'éphémères sur cette planète et je pense que la plus belle trace que nous pouvons laisser, c'est de partager avec TOUS, et ne pas fermer notre esprit à l'échelle de notre quartier. Il faut savoir faire évoluer sa mentalité; être raisonnable, c'est aussi comparer les choses dans leur véritable réalité..! Nous avons tous à apprendre les uns des autres, tout simplement parce que l'humain est ce qui nous relie, ce n'est ni l'argent, ni le niveau de vie, mais bel et bien l'humain!!
Justement Rainis, OUI, nous devons être solidaires avec le reste du monde, 'sous-développé, affamé, barbare', que vous semblez craindre mais qui concerne quand même 90% des habitants de notre planète. Mille merci à Mle Marcou de dire franchement les choses et justement d'assumer cette solidarité. Nous sommes 10% du monde à vivre tellement mieux que dans de si nombreux pays. Sans vouloir porter toute la misère du monde sur notre dos, il faut être conscient du fait que notre situation sociale, intellectuelle, culturelle, est une exception. Il faut continuer à défendre cette exception, mais l'intégrer consciemment dans un environnement nettement plus dur, ou nous allons tomber de très haut.
en temps de "crise ?" mais quelle crise? "Etre solidaire en temps de crise" prétend Séverine... Solidaire avec les Banques privées/publiques, la centrale, pour pouvoir constament renflouer leur dette. Bien, soyons solidaire, n'ayons pas peur de l' avenir proche. Donnons notre argent aux spéculateurs; perdons aussi notre pouvoir d'achat; évitons de trop nous déplacer; devenons faibles, pauvres; que nos enfants marchent pieds nus...; perdons nos emplois...; donc nos salaires...; ne mangeons plus...; soyons affamés...; devenons des barbares...; les uns contre les autres...; mourons, en nous entretuant. Et puis ne pensons surtout pas aux générations futurs : très beau programme de SOLIDARITE ! sous-dévelopons notre pays et le monde. laisse l'argent, te grignoter... toi et les tiens, amen ! Etre Solidaire avec soi même. Bravo, merci de nous dire que tu perd 10 € sur ton salaire. Voir : projet Cheminade 2012 : le projet. : un gd. chantier pour demain. Tout sujet a une réponse réfléchit et réalisable.
Rainis, je trouve votre commentaire incohérent. Vous évoquez clairement un manque de moyen et de formation mais raillez les propos de Séverine MARCOU qui vont dans ce sens. Votre fils aurait sans doute trouvé bien des avantages à se retrouver dans une classe accueillant un effectif modeste auprès d'enseignants à qui on laisse le temps d'enseigner en même temps qu'on leur en offre les moyens. Que pensez-vous que puisse être le résultat lorsqu'on surcharge les classes et qu'on ôte aux professionnels le plaisir qu'ils pourraient trouver à faire leur métier ? Sans doute celui que vous avez rencontré. Ne vous trompez pas de cible et songez qu'enseignants et élèves souffrent des mêmes conditions de travail imposées par le gouvernement.
Heu... Vous avez lu? Elle fait partie des profs qui justement étaient là pour aider ceux en difficulté. Ne faites pas d'un cas (le vôtre, horrible) une généralité.
remettre de l humain ? quelle supercherie!!!! Vous autres profs il vous faut de la quiétude pour travailler cela veut dire que de bons élèves!!!! les autres qu'ils crèvent. Mon fils était dyslexique et dyscalculique, déjà il faudrait que vous sachiez à quelle problèmatique ces deux mots se rapportent, malgré les rapports de l'orthophoniste aucun je dis bien aucun de ses profs du CP à la Troisième n'ont voulus en tenir compte. Après vous osez vous plaindre, vous êtes incapables de prendre la mesure humaine, je n'ai pas vu un seul de ses profs proposer ses services pour l'aider PIRE devant toute la classe il faisait l'objet des railleries des profs. Tout le système est à changer et surtout la mentalité des profs!!!!! Dans d autres pays vous n auriez même pas le droit d 'enseigner

Poster un nouveau commentaire

Le contenu de ce champ ne sera pas montré publiquement.
  • Aucune balise HTML autorisée

Plus d'informations sur les options de formatage

CAPTCHA
Cette question vous est posée pour vérifier si vous êtes un humain et non un robot et ainsi prévenir le spam automatique.