"L'hôpital est devenu une usine, il faut convoquer des états généraux de la santé"

Ils sont plus de 500 000 à exercer en France. Les infirmiers, ou plutôt les infirmières puisque les hommes ne représentent que 10% du contingent, travaillent principalement à l’hôpital public (55% des effectifs). Au centre hospitalier de Belfort-Montbéliard, Nathalie Depoire, 41 ans dont 20 ans d’activité, a fait l’essentiel de sa carrière au service de réanimation. En 2002, un conflit social éclate à cause des 35 heures. La jeune femme "tombe alors dans le syndicalisme par accident". "Il devenait important à mes yeux de défendre nos droits. Depuis 2008, je suis déchargée. C'était trop dur de travailler en réa et d’exercer en même temps mon mandat national au sein de la Coordination nationale infirmière", dit-elle avec une pointe de regret dans la voix, non pas d’avoir embrassé la cause syndicale mais de ne plus être en contact avec les patients. "Je fais le plus beau métier du monde et je veux me battre pour que ça continue", dit-elle sourire aux lèvres.
 
L’infirmière s’intéresse à la campagne présidentielle. "J’attends beaucoup des politiques mais visiblement la santé n’est pas un sujet prioritaire, explique-t-elle. J’ai beau suivre les émissions spécialisées, il est difficile de voir ce que les candidats ont à proposer dans le domaine de la santé." "Quels sont les projets pour l’hôpital ? Quelles seraient les réformes programmées ? On n'a pour l’instant aucune lisibilité", regrette-t-elle.
 
Pourtant "l’hôpital public et les infirmières souffrent et ont besoin que les politiques s’intéressent à eux", explique Nathalie Depoire. La quadragénaire relate le difficile quotidien de ses collègues. "L’hôpital est devenu une entreprise, une usine à gaz avec une politique budgétaire en total décalage avec la réalité", accuse-t-elle. L’un des problèmes majeurs, selon l’infirmière, est le manque d’effectif qui conduit le personnel à l’épuisement. "C’est un cercle infernal. Les personnels sont toujours plus sollicités. Les équipes faisant des heures supplémentaires, l’épuisement professionnel augmente", explique-t-elle.
 
 
Un sentiment de mal-être s'est emparé des infirmières. Un sondage Ipsos paru en octobre 2010 montre que 64 % des infirmières travaillant dans le secteur public ressentent de l'inquiétude vis-à-vis de leur métier et elles sont une majorité à considérer que leur situation s’est détériorée au cours de ces dernières années, notamment en ce qui concerne le niveau de stress (56 %) et le rythme de travail (51 %).
 
"En rentrant chez elles, les infirmières ont l’impression de ne pas avoir pu faire toutes leurs tâches. Avec les nouvelles réformes, la priorité aujourd’hui c’est de faire des actes et tout le volet relation humaine a disparu. Ce manque de relation avec le patient est devenu une souffrance au quotidien", explique Nathalie Depoire. Et l’infirmière de poursuivre : "Il y a également un manque de dialogue entre le personnel hospitalier. On n'a plus le temps de se parler. Chacun porte sa croix dans son coin".
 
 
Comme Nathalie Depoire, les Français sont inquiets de l’évolution de l’hôpital public : c’est ce que montre le baromètre 2012 de la Sofres pour la Fédération hospitalière de France. L’enquête révèle que les Français sont particulièrement insatisfaits du service des urgences où le temps d’attente est de plus en plus long. "On n'a plus les moyens de répondre à l’une des missions premières de l’hôpital public, c’est-à-dire l’accès aux soins pour tous, explique Nathalie Depoire. Derrière le problème d’attente aux urgences, il y a le manque cruel de lits. Encore une fois, l’hôpital est malade d’une politique de management à court terme." En 10 ans, 100 000 lits ont été fermés dans les hôpitaux français.
 
La réforme de l’hôpital s’est accompagnée d’une réforme de la formation des infirmières. Une réforme "a minima" selon Nathalie Depoire. Désormais, les infirmières, après 3 ans d’études, décrochent un diplôme d’État avec un grade de licence, "mais pas une licence pleine et entière" déplore la jeune femme qui pointe également du doigt le décalage entre la formation et la réalité du terrain. "On ne se donne pas les moyens de former, accuse-t-elle. Dans les faits, le personnel n’a pas le temps de s’occuper des nouveaux."
 
Et malgré la revalorisation des études, les salaires ne suivent pas. Ainsi, en début de carrière, une infirmière gagne 1600 euros brut par mois. "On n'est pas très loin du Smic, regrette l’infirmière. Ajoutons à ça la réforme des retraites et on voit bien qu’on fait tout pour que notre métier soit de moins en moins attractif."
 
 
Si elle était présidente, Nathalie Depoire convoquerait "des états généraux pour qu’il y ait une vraie concertation entre tous les acteurs de la santé et pour définir les priorités". "La population vieillit, explique l’infirmière, et la problématique des personnes dépendantes doit être mieux prise en compte." Et de conclure : "Il serait temps en France qu’on investisse non plus seulement dans le curatif mais aussi dans le préventif".
 
 
 
 
Crédit photo : Julie Kara
 
 
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6 Comments
Aussi un camps de refuge, sale.C'est la faute à la crise ,ils se soignent où les chefs d'état!!!
Est ce seulement l'hôpital ou notre régime de soins dans sa globalité le sujet à traiter? La politique ne peut pas être responsable de notre égoïsme et individualisme. Oui la politique concernant les hôpitaux n'est pas toujours logique. Mais ne fallait il pas faire des programmes et des choix de société à un moment donné? Averti longtemps à l'avance. Les programmes de fermetures d'établissements, de réductions de personnels, les transferts, les ouvertures peuvent faire l'objet de nombreuses modifications par la concertation et un travail sérieux si de nouvelles propositions sont sérieuses, réalistes et adaptés à notre environnement. En France, malheureusement tout le monde se renvoie la balle, traite le ou les problèmes dans l'urgence, à la dernière minute, comme si l'on découvrait du jour au lendemain la décision. Beaucoup d'entre nous sont malhonnêtes, se foutent litéralement des autres. Ils se voilent la face devant une situation où l'on doit tous être solidaires, faire abstraction d'un égoisme forcené, ce sont les premiers à critiquer sans solution, sans rien proposer ... Issu d'une famille médicale, je connais très bien le problème de la santé. Ce dernier ne se résoudra pas en cloisonnant, en privilégiant, en séparant tel et tel service de santé mais dans une réflexion GLOBALE avec le courage d'avoir à faire des EFFORTS, des ECONOMIES et même des SACRIFICES. Arrêtons TOUS de rêver! SOYONS solidaire, travaillons TOUS ENSEMBLE en étant HONNÊTES! Travaillons pour DEMAIN, pour NOS FUTURS et NON seulement pour NOUS!
Que chacun(e) et chacun se réveille, s'indigne de ce fait qui s'applique également aux maisons de retraite! Pourvu que notre France tant convoitée par son hospitalité, sa richesse d'humanisme ne devienne qu'une terre sans âme!...
Je réside en Afrique, particulièrement en Cote d'Ivoire. Je pensais que les problèmes qui minent le système sanitaire africain était propre à l'Afrique. Je constate que les mêmes problèmes se posent en France. Evidemment, le futur président français doit prévoir un projet de société pour l'amélioration du du ystème sanitaire en France.
Ce oui anonyme est bien bref, mais bien significatif aussi! Je vis dans une famille de médecins hospitaliers et les conversations autour de la table reviennent inévitablement sur le manque de lits, le manque de personnel de toute catégorie et les taches administratives lourdes et qui prennent sur le temps à consacrer aux patients. Le personnel est fatigué, déprimé, il faut aimer son travail dans ces conditions pour tenir le coup et ce travail n'est pas tout à fait comme les autres car il s'agit de s'occuper de personnes souvent en état de grande souffrance.Oui il faut s'occuper de l'hôpital qui est malade lui aussi.
oui...!

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